Introduction
L’idée de cette fiction m’est venue
lors d’une banale soirée entre amis
au restaurant. Je me faisais une
joie d’échapper à mon quotidien, à
mon fils autiste si dépendant. Une
bonne soirée s’annonçait, sans
servitude ni interruption. J’étais
détendue, je plaisantais quand, au
moment de la commande, le serveur a
demandé : « Et pour madame, quel
accompagnement ? ». Je n’ai pas tout
de suite compris la question
pourtant simple ; mes pensées
voguaient du côté de mon fils resté
en compagnie de sa sœur : «
allait-il lui obéir ? Irait-il
dormir à l’heure ? ». Il a insisté :
« Avec pâtes ou avec frites ? Avec
ou sans salade ? » Avec ou sans.
J’avais le choix. J’ai regardé
l’homme qui attendait une réponse
simple. L’image de mon fils s’est
intercalée entre le garçon du
restaurant et moi. En partant du
plat, j’ai fait une rapide
digression et mon imagination s’est
envolée. J’ai pensé : « Et si on
avait le choix pour tout ? » et,
comme dans un rêve, j’ai entendu la
question autrement : « Votre fils,
avec ou sans autisme ? » J’ai failli
répondre : « sans autisme, s’il vous
plait ». Le regard ahuri de l’homme
m’a fait réaliser que nous ne
parlions pas de la même chose. J’ai
repris mes esprits et opté pour les
pâtes et la garniture de saison
mais, pendant toute la soirée je fus
« ailleurs » Mon corps se trouvait
dans ce restaurant en compagnie
d’amis qui racontaient leur
quotidien, les études de leurs
enfants, leur travail et mon âme,
une fois de plus, voguait du côté de
mon fils au lieu de l’oublier
quelques heures. Étrangement, tout
en mangeant, je me projetai dix-huit
ans plus tôt : j’étais couchée sur
le banc en moleskine du cabinet de
mon gynécologue attendant son
verdict concernant le sexe de mon
futur enfant. Fille ou garçon ?
Comme dans un rêve, je l’entendais,
lui aussi, me proposer : « Votre
fils, vous le voulez avec ou sans
handicap ? Une dose d’épilepsie, un
accompagnement autistique ? Un petit
syndrome de West ? »
J’ai fait tomber ma fourchette.
Ces questions, le médecin ne les
avait pas prononcées, sinon j’aurais
fait le choix du fils parfait, tant
au mental qu’au physique. Quelques
semaines plus tard, La Vie me
livrait un cadeau pas tout à fait
conforme à mes rêves mais que je ne
pouvais retourner en service
« après-vente ». Non, je n’avais pas
eu le choix comme au restaurant.
Avec pâtes ou avec salade. Une vie
entière chamboulée, remplie de
déceptions, d’angoisses,
d’incertitudes, de frustrations, de
chagrins, une autre vie, une vie
avec m’attendait pour de très
longues années. Pour toujours.
J’ai fait l’impasse sur le dessert
car j’étais pressée de rentrer chez
moi. Pressée de réfléchir à
l’étrange question : « Votre fils,
vous le voulez avec ou sans autisme
? » J’avais envie de me laisser
aller, envisager mon existence en
compagnie d’un enfant « normal »,
sans handicap mental.
En début de nuit, au lieu de dormir,
j’ai pris un feutre bleu, un cahier
et je me suis installée dans mon
canapé. Alors, je me suis imaginée
quelle serait ma vie si, par magie,
j’avais ce choix maintenant. « Avec
ou sans ? » Et j’ai commencé ce
récit.
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